Des
poussées de fièvre le plus souvent orchestrées par des mouvements
islamistes et dont il ne faut donc pas exagérer la portée, mais qui
témoignent de la prégnance dans les sociétés musulmanes d'un sentiment
selon lequel il ne faut pas toucher à la religion, ou du moins avec la
plus grande prudence. Ces réactions, qui témoignent des méconnaissances
et incompréhension réciproques, rencontrent un écho inattendu en France
même, où l'on a beaucoup entendu, ces derniers jours, qu'on pouvait rire
de tout à condition « de ne pas offenser », que la liberté d'expression est essentielle, mais dans certaines limites…
Les
manifestants hurlant leur colère contre la France et « Charlie Hebdo »
sont convaincus que le dessin de Luz est insultant, car il représente le
Prophète - un tabou dans l'islam -, et de manière ridicule de surcroît.
Il est aisé de réfuter la première partie de cette affirmation. Si
l'adoration des idoles y est proscrite, rien dans le Coran n'interdit de
représenter Mahomet. Son portrait abonde du VIIIe siècle à
nos jours dans l'art iranien, turc ou indien, même si l'usage s'en est
perdu dans le monde arabe au Moyen Age. Et on peine à retrouver une
fatwa sur le sujet avant celle de l'université Al Azhar du Caire en…
1980 ! Aucune loi non plus dans le Coran contre le blasphème
(les hadiths, actes et paroles du Prophète, sont plus restrictifs). La
colère contre « Charlie » n'a donc aucun fondement théologique clair.
Et
quand bien même la charia l'interdirait, la Constitution française ne
la reconnaît pas. La tradition islamique admet d'ailleurs qu'elle ne
s'applique que dans les pays gouvernés par des musulmans. Toutefois,
selon certains prédicateurs radicaux, comme Anjem Choudary au
Royaume-Uni, qui réclame l'exécution des dessinateurs survivants, la loi
coranique doit s'appliquer partout, y compris en Occident, aux
non-musulmans, traités en « dhimmis » (chrétiens soumis)… De quoi étayer
l'analyse du spécialiste de l'islam Gilles Kepel, qui déclarait
récemment à l'Institut du monde arabe : « Une chape de plomb salafiste s'est abattue sur la pluralité de la pensée religieuse » et se lance dans « une conquête culturelle en France et en Europe », avec l'aide des télévisions satellite et des réseaux sociaux.
En revanche, le deuxième argument, selon lequel la une de « Charlie » serait insultante, voire « haineuse »,
pour reprendre les mots des 57 pays musulmans regroupés au sein de
l'OIC, s'avère plus délicat à contredire, car subjectif. Ce dessin de
Mahomet défendant la liberté d'expression sous une phrase évoquant le
pardon, semble pourtant anodin. « Il ne m'a pas offensé et la
majorité des musulmans sans doute non plus, sinon les manifestations des
derniers jours auraient rassemblé des dizaines de millions de personnes
et non des dizaines de milliers, cela aurait été un séisme », explique aux « Echos » l'anthropologue et spécialiste de l'islam Malek Chebel (1).
Mais ce dernier met en garde contre la volonté « obsessionnelle » de vouloir choquer, car « cela peut provoquer des émotions incontrôlables au sein de foules immenses ».
« La montée d'un sentiment selon lequel le religieux n'est pas
respecté apporte de l'eau au moulin des salafistes. Les réformateurs et
partisans d'un islam des Lumières deviennent inaudibles. » Mal
canalisé, ce mouvement de fond peut avoir des conséquences
géostratégiques. Certains régimes sont déstabilisés. Des émeutes visent
le président du Niger qui a osé clamer « Je suis Charlie ».
D'autres dirigeants durcissent le ton envers l'Occident, comme Recep
Erdogan en Turquie, par conviction, peur d'être débordé par une base
radicale, ou opportunisme. Vladimir Poutine a donné le feu vert à une
manifestation massive en Tchétchénie pour mettre la pression sur Paris
dans le dossier des sanctions européennes.
D'après Yves bourdillon, "Les echos"
http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0204094198526-les-ressorts-complexes-de-la-colere-anti-charlie-1085972.php
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