vendredi 26 juin 2015

Les ressorts complexes de la crise des pays musulmans envers Charlie Hebdo.

Des poussées de fièvre le plus souvent orchestrées par des mouvements islamistes et dont il ne faut donc pas exagérer la portée, mais qui témoignent de la prégnance dans les sociétés musulmanes d'un sentiment selon lequel il ne faut pas toucher à la religion, ou du moins avec la plus grande prudence. Ces réactions, qui témoignent des méconnaissances et incompréhension réciproques, rencontrent un écho inattendu en France même, où l'on a beaucoup entendu, ces derniers jours, qu'on pouvait rire de tout à condition « de ne pas offenser », que la liberté d'expression est essentielle, mais dans certaines limites…
Les manifestants hurlant leur colère contre la France et « Charlie Hebdo » sont convaincus que le dessin de Luz est insultant, car il représente le Prophète - un tabou dans l'islam -, et de manière ridicule de surcroît. Il est aisé de réfuter la première partie de cette affirmation. Si l'adoration des idoles y est proscrite, rien dans le Coran n'interdit de représenter Mahomet. Son portrait abonde du VIIIe siècle à nos jours dans l'art iranien, turc ou indien, même si l'usage s'en est perdu dans le monde arabe au Moyen Age. Et on peine à retrouver une fatwa sur le sujet avant celle de l'université Al Azhar du Caire en… 1980 ! Aucune loi non plus dans le Coran contre le blasphème (les hadiths, actes et paroles du Prophète, sont plus restrictifs). La colère contre « Charlie » n'a donc aucun fondement théologique clair.
Et quand bien même la charia l'interdirait, la Constitution française ne la reconnaît pas. La tradition islamique admet d'ailleurs qu'elle ne s'applique que dans les pays gouvernés par des musulmans. Toutefois, selon certains prédicateurs radicaux, comme Anjem Choudary au Royaume-Uni, qui réclame l'exécution des dessinateurs survivants, la loi coranique doit s'appliquer partout, y compris en Occident, aux non-musulmans, traités en « dhimmis » (chrétiens soumis)… De quoi étayer l'analyse du spécialiste de l'islam Gilles Kepel, qui déclarait récemment à l'Institut du monde arabe : « Une chape de plomb salafiste s'est abattue sur la pluralité de la pensée religieuse » et se lance dans « une conquête culturelle en France et en Europe », avec l'aide des télévisions satellite et des réseaux sociaux.
En revanche, le deuxième argument, selon lequel la une de « Charlie » serait insultante, voire « haineuse », pour reprendre les mots des 57 pays musulmans regroupés au sein de l'OIC, s'avère plus délicat à contredire, car subjectif. Ce dessin de Mahomet défendant la liberté d'expression sous une phrase évoquant le pardon, semble pourtant anodin. « Il ne m'a pas offensé et la majorité des musulmans sans doute non plus, sinon les manifestations des derniers jours auraient rassemblé des dizaines de millions de personnes et non des dizaines de milliers, cela aurait été un séisme », explique aux « Echos » l'anthropologue et spécialiste de l'islam Malek Chebel (1).
Mais ce dernier met en garde contre la volonté « obsessionnelle » de vouloir choquer, car « cela peut provoquer des émotions incontrôlables au sein de foules immenses ». « La montée d'un sentiment selon lequel le religieux n'est pas respecté apporte de l'eau au moulin des salafistes. Les réformateurs et partisans d'un islam des Lumières deviennent inaudibles. » Mal canalisé, ce mouvement de fond peut avoir des conséquences géostratégiques. Certains régimes sont déstabilisés. Des émeutes visent le président du Niger qui a osé clamer « Je suis Charlie ». D'autres dirigeants durcissent le ton envers l'Occident, comme Recep Erdogan en Turquie, par conviction, peur d'être débordé par une base radicale, ou opportunisme. Vladimir Poutine a donné le feu vert à une manifestation massive en Tchétchénie pour mettre la pression sur Paris dans le dossier des sanctions européennes.


 D'après Yves bourdillon, "Les echos"

http://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/0204094198526-les-ressorts-complexes-de-la-colere-anti-charlie-1085972.php

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